Les émotions
J'ai grandi en recevant une éducation qui m'a appris à gérer mes émotions. Enfin, les gérer, pas vraiment. Les étouffer, en fait. Ne rien dire, pour ne pas déranger, pour ne pas faire de vague, pour ne pas faire de mal aux autres... Du coup assez vite je suis devenu quelqu'un de relativement discret et silencieux, à mesure que j'ai développé ma capacité à encaisser ce que je recevais sans le faire paraître.
Bien sûr, cela n'est pas une bonne chose. Mais dans une certaine mesure, professionnellement en tout cas, cela me rend bien service. Au contact des enfants, de leurs parents, des collègues, de l'Institution, les occasions d'être peiné, en colère, attristé...sont nombreuses, et je sais mettre à distance les réactions premières pour les analyser avec recul et choisir les réactions les plus adéquates.
Certes.
En devenant père, je me suis aperçu que j'avais de plus en plus de mal à fonctionner comme ça. Pour plusieurs raisons: la fatigue, en premier lieu; la découverte d'expériences inconnues, évidemment... et puis ce je ne sais quoi qui arrive à fissurer la façade.
Ca me rappelle ce qu'une psy m'avait dit à l'époque: "un enfant ça travaille, ça travaille bien plus que toutes les classes que tu auras dans toute ta carrière !" C'est exactement ça en fait, en bien et en mal: je suis devenu bien plus transparent avec ce que je ressentais, m'apercevant à quel point j'avais appris à masquer ce que je pensais (et à quel point, encore, je continue à masquer ce que je pense, toujours par peur de déranger...) et les dégâts que ça avait commis. Je n'ai pas envie que mes enfants aient un père avec une patine. D'autant que cela, les enfants en sont incapables. Au quotidien je les vois en prise avec ce qu'ils ressentent, avec cette merveilleuse capacité de l'exprimer instantanément. J'admire cela chez eux, ils ont tant de chose à m'apprendre.
Etre père, c'est aussi ça. C'est savoir dire les choses simplement, avec transparence: dire ce que l'on ressent, et ressentir ce que l'on dit. Et Dieu sait à quel point c'est difficile. Pour moi.